Pie Tshibanda: Lettre ouverte à Louis Michel
Monsieur Louis Michel,
Après la conférence du Docteur Mukwege au Parlement, certains Congolais vous ont accusé d’avoir une part de responsabilité dans les malheurs du Congo. Vous avez répondu : « Cessez d’accuser l’Occident d’être responsable de tous vos maux… »Dialogue de sourds ! Il faut pourtant que nous nous parlions. Voilà pourquoi je prends l’initiative personnelle de vous résumer les griefs de Congolais vis-à-vis de certains Occidentaux, vous dire respectueusement quelques-unes de raisons de leur colère.
1. Les Congolais veulent vous dire qu’ils sont, eux aussi, capables de voir la face cachée de l’iceberg. Lorsqu’il faut débattre au sujet de leur pays, ils veulent parler de causes et non seulement de symptômes.
Un exemple : dire que le premier ministre congolais a été assassiné au Congo n’empêche pas de se poser la question : comment ses dents se sont retrouvées dans la mer du Nord ?
2) Les Congolais reprochent aux Occidentaux de n’avoir pas été neutres vis-à-vis de candidats aux élections au Congo. Cherchez bien dans vos souvenirs, Mr Michel, vous vous souviendrez d’une parole, d’un geste, d’une photo ou d’une attitude qui a pu peser, un tant soit peu, dans la balance en faveur de l’un ou l’autre candidat.
3) Vous étiez de bonne foi, vous avez été déçu dans vos attentes, vous n’êtes pas d’accord avec la révision de la constitution et les autres chipotages. Mais avez-vous tiré la leçon de l’histoire, Mr Michel ? Ne vous êtes-vous pas donné bonne conscience sous prétexte que vous avez fait un choix entre la peste et le choléra ? Et l’éthique dans tout cela ? N’en fallait-il pas un minimum ?
4) Sarkozy a dit un jour : « Le peuple rwandais, brave et dynamique a besoin d’espace, le Congo doit accepter de partager ses richesses. La géographie a ses lois, il faut les respecter… ». Ne dites pas aux Congolais, monsieur Michel, que vous n’étiez pas au courant de ce plan de balkanisation fomenté par les Occidentaux, que vous ne voyez pas de lien entre cet objectif et les viols de nos femmes et de nos filles ! Les Congolais, devraient-ils applaudir ?
5) En 2006, Monseigneur Monsengo a dit aux Européens : « Merci d’avoir remis le Congo à l’agenda de l’Union européenne mais n’allez quand même pas jusqu’à nous désigner les personnes qui doivent diriger le pays… »
N’a-t-il pas subi des pressions pour qu’il se taise ? Est-il vraiment juste de rejeter la faute aux seuls acteurs d’une pièce de théâtre dont les auteurs et les souffleurs ne sont pas tous au Congo ?
6) Un président d’un pays voisin a toujours nié avoir à faire avec tout ce qui se passe de triste au Congo ; mais depuis que tout le désigne, que dit-il ? « Les mêmes qui m’ont demandé s’il fallait maintenir un tel au pouvoir m’accusent aujourd’hui de le déstabiliser ! » Il était donc question de maintenir un tel au pouvoir ! A quoi bon les élections alors ?
7) Docteur Mukwege a dit : « Maintenant que la MONUC a bien désigné les responsables, nous pouvons espérer… mais ce qui est triste, c’est que tout ce que la MONUC dit aujourd’hui, nous le savions depuis dix ans ! » « Depuis dix ans », monsieur Louis Michel ! Nous le disions, personne ne voulait nous écouter ! La parole n’était qu’à vos « experts » ! Avec pareille attitude, vous savez quel message vous lancez, sans le savoir, aux agresseurs ? « Continuez, nous vous couvrons » !
8) Pendant que la campagne électorale battait son plein au Congo, la presse belge écrivait : « Les défauts de l’opposant : Il est muluba, il est orgueilleux » ! Peut-on, en Occident, dire à propos d’un candidat : « Il est Juif, il est… » ? Pourquoi ramener toujours les Africains à leurs ethnies ? Comment croyez-vous que les Congolais apprécient-ils ces messages codés ? Un autre « expert », prof émérite, a écrit à propos de tricheries aux élections : « Qu’est-ce qui nous dit que les opposants n’ont pas, eux aussi, rempli des bulletins tombés d’un camion ? » Les Congolais devraient applaudir ces genres de propos ?
9) Les Congolais disent : « Nous sommes attaqués par le Rwanda » et une certaine presse affiche :
« Ce ne sont pas des Rwandais mais des Banyamulenge ! » Et le jour où les larrons se battent en pleine ville de Kisangani et font des victimes congolaises, pris de pitié, la même presse écrit : «maintenant qu’il est tout de même reconnu que c’était des Rwandais … » !
La réalité n’est donc reconnue que lorsque l’Occident le décide ! Combien de morts en attendant ?
10) A l’entrée de l’AFDL, un professeur belge ne comprend pas la méfiance de Congolais, il accuse «les opposants » de toujours freiner la machine alors qu’il faut aller de l’avant. Aujourd’hui, ce professeur sait que l’AFDL était une nébuleuse qui avait pris soin d’assassiner le général congolais Ngandu Kisase, pour pouvoir entrer au Congo avec un chef d’Etat-major rwandais, avec des accords et un plan que les Congolais aimeraient bien connaître. Pensez-vous, monsieur Michel, que ce prof a tiré la leçon de l’histoire ? Il est toujours l’expert, mieux écouté que ne le sont les Congolais!
11) Certaines autorités belges nous disent souvent : « J’ai parlé avec un tel… j’y ai été…», sous-entendu : « qu’est-ce que vous en savez ? » Les Congolais vous disent : vous pouvez parler avec quelqu’un mais ne pas tout comprendre, faute d’une grille de lecture appropriée.
12) Lorsque les Congolais de la diaspora dialoguent avec un politicien belge, le linge sale est lavé en famille. Mais qu’est-ce que ces mêmes Congolais ressentent lorsque, quelques semaines plus tard, le même homme politicien va dire aux tricheurs : « Il faut tourner la page, la démocratie, même nous, nous avons mis longtemps avant d’y arriver» ? Cette manière de parler déculpabilise les fautifs. Le mieux n’aurait-il pas été de se taire, à défaut de dénoncer ?
Une note positive : Un journaliste demande à un politicien belge: « Et Nkunda ? », le Belge, avec conviction, répond: « Nkunda ! Celui-là, sa place est au TPI ». Message efficace, capté cinq sur cinq ! Nkunda est en train de se faire oublier. Là où il y a viols et tueries, le langage doit être ferme. Les Congolais aspirent à avoir un pays où l’éthique prévaut, où l’alternance au pouvoir devient une réalité, où les droits humains sont respectés où les enfants vont à l’école, où les citoyens choisissent eux-mêmes leurs dirigeants.
Voilà, Mr Louis Michel ! Je pense que nous avons une part de responsabilité mais qui n’occulte pas la vôtre.
Merci de m’avoir lu. Meilleurs vœux!
Pie Tshibanda (« Un fou noir au pays des blancs »)